Press Releases, Statements, Notes/Articles and Letters INITIATIVE BY TURKEY ON CYPRUS, 24 JANUARY 2006 Cyprus a reminder CYPRUS: WHAT HAS HAPPENED? Highlights of the UNSG´s report Cyprus (Historical Overview) What the World Said Before the Referanda What the World said After the Referanda The Annan Plan and the Greek Cypriot “NO”: False Reasons and Claims Greek Cypriot state terror revealed Confidence Building Measures (1992-1994) Meaningful Anniversary Of The Cyprus Peace Operation Turkish Parliament Proclaims Solidarity With TRNC And Demands Equal Treatment For The Two States On The Island Resolution By The Turkish Grand National Assembly On 21 January 1997 Circular Note Sent To The Embassies Of The EU Member States Concerning The Greek Cypriot Application To The EU, 30 June 1997 Agreement between the Government of the Republic of Turkey and the Government of the Turkish Republic of Northern Cyprus on the establishment of an Association Council Resolution Adopted By The Legislative Assembly of The TRNC March 9, 1998 Aide-Memoire By The TRNC To The British High Commission In Nicosia, 26 March 1998 Documents Given By President Denktas To The UN Secretary-General During Their Meeting In Geneva- 28 March 1998 Resolution of the Turkish Grand National Assembly, 15 July 1999 Treaty Provisions And Basic Documents With Regard To The EU Membership Of Cyprus British Professor of International Law Prof. H. Mendelson Q.C.'s opinion on the legal aspects of the one-sided membership application of the Greek Cypriot Administration of Southern Cyprus to the European Union Final communique of the annual coordination meeting of Ministers for Foreign Affairs of the States members of the Organization of the Islamic Conference ( United Nations, New York 28 September 2004, 14 Shaa'ban 1425 H - para. related to Cyprus) Report of the Secretary-General Kofi Annan on his Mission of Good Offices in Cyprus, 28 May 2004 Report of the Secretary-General Annan on the United Nations operation in in Cyprus, 3 December 2007 The Status of the Two Peoples in Cyprus Edited By Necati Münir Ertekün Greek Cypriot Attempts To Purchase Missiles From Russia And The Resulting Danger For The Peace And Stability In Cyprus EU and Cyprus:An Expert View Opinion of Professor M.H. Mendelson Q.C on the Application of “the Republic of Cyprus” to Join the European Union Grand Deception, Korkmaz HAKTANIR, Founding Member of the Cyprus Foundation '' BARBARIE A CHYPRE '' Le Soir Illustré 1967 The Need for New Perspective on Cyprus
'' BARBARIE A CHYPRE '' Le Soir Illustré 1967 BARBARIE A CHYPRE DE NOTRE ENVOYE SPECIAL

 

NOTRE ENVOYE SPECIAL JACQUES LIMAGE REVIENT DE CHYPRE. IL A VECU, AU MILIEU DES GRECS ET DES TURCS, AVEC LA MEME PEUR QU'EUX, LA CRISE QUI VIENT D'EBRANLER LE MONDE. IL EN RAMENE UN REPORTAGE SURPRENANT: LA MAJORITE DES CYPRIOTES, LES GRECS, LUTTENT CONTRE L'INDEPENDANCE DE LEUR REPUBLIQUE AGEE SEULEMENT DE SEPT ANS ET POUR LA REALISATION D'UN VIEUX REVE: L'ENOSIS, L'UNION AVEC LA GRECE. UN REPORTAGE BOULEVERSANT: CHYPRE EST LE THEATRE D'UNE LUTTE SAUVAGE ENTRE DEUX COMMUNAUTES, UNE LUTTE INEGALE: QUATRE GRECS CONTRE UN TURC; UNE LUTTE BARBARE: DES VIEILLARDS AVEUGLES, MALADES, PARALYSES ONT ETE ENROULES DANS LEUR COUVERTURE, ARROSES D'ESSENCE ET BRULES VIFS DEVANT FEMMES ET ENFANTS REUNIS DE FORCE; DES MAISONS ONT ETE PILLEES PUIS INCENDIEES; DES CADAVRES HORRIBLEMENT MUTILES. SOUS L'EMPRISE DE LA TERREUR, DES GENS ABANDONNENT TOUS LEURS BIENS ET S'ENFUIENT. C'EST AUSSI UNE LUTTE FANATIQUE: LE POUVOIR, A LA FOIS POLITIQUE ET RELIGIEUX, EN FAIT PRESQUE UNE GUERRE SAINTE; UNE LUTTE EMOUVANTE: UNE PETITE COMMUNAUTE, PAUVRE LE PLUS SOUVENT, BRIMEE, HUMILIEE, SE BAT POUR AVOIR LE DROIT DE VIVRE. DANS CETTE ILE OU, SELON LA LEGENDE, APHRODITE, DEESSE DE L'AMOUR, NAQUIT DE L'ECUME DE LA MER, REGNE LA HAINE LA PLUS TERRIBLE: LA HAINE RACIALE.

Nicosie. Deux fois le taxi s'arrête entre l'aérodrome et la ville: barrages policiers, contrôle d'identité.

-Vous croyez que nous aurons la guerre? demande le chauffeur.

-Mais non: vous croyez que ma femme m'aurait laissé venir s'il y avait danger de guerre?

Il sourit. Mais il n'a pas le coeur à rire.

Au Ledra Palace, à peine entré -la valise est encore dans le coffre du taxi-, on est brutalement interpellé par un Français hagard

-Vous avez entendu l'explosion?

-Non...

-Ah! bon!

Il soupire. Puis il lâche:

-Vous savez, nous, ici, on ne sait plus quoi!

La capitale cypriote vit sur ses nerfs. La nuit, réveil en sursaut: on dirait le bruit d'un avion; ce n'est que le ronflement de l'appareil de conditionnement d'air. Puis, nouveau réveil en sursaut: un individu s'est mis à hurler au deuxième étage; il rêvait. Enfin, un matin, nouveau réveil brutal: on croirait entendre tirer à proximité; ce n'est que le bruit d'une bétonneuse dans la cour.

Et puis, chaque jour, les avions turcs survolent l'île. Très haut au début, puis de plus en plus bas. On finit par voir les pilotes dans leurs carlingues argentées qui brillent dans le ciel bleu.

Chaque soir, des bombes explosent dans toute l'île. A tel point que la police appelle à la mobilisation générale:

-Tout citoyen est prié de signaler au poste de police le plus proche ou à tout policier toute personne suspecte ou tout mouvement suspect de personne. La police compte sur le soutien et l'aide active de chaque citoyen et espère que chacun deviendra un policier en civil...

Il n'est pas indiqué de s'arrêter sur le coup de 18 heures avenue Makarios III pour chercher son chemin sur le plan de la ville: tout de suite, l'on est encadré de trois individus qui lancent:

-Service de sécurité! Qu'est-ce que vous cherchez?

-Eh bien! mon chemin!

-Passeport!

-...

-Journaliste?

-Yes.

-...

-Hum! Hum!

-Voulez-vous ouvrir le coffre de la voiture?

Afin d'ètre bien certains de ne pas avoir été abusés, et aussi parce que toujours ils sont d'une exquise politesse avec les étrangers, ils vous escortent jusqu'à l'hôtel...

Le marchand de journaux est le seul à garder son sourire:

-Monseur, fait-il, c'est la cent cinquante-deuxième fois qu'il y a crise. Les Turcs menacent toujours de débarquer. Je parie tout ce que vous voulez qu'ils ne débarqueront pas encore cette fois-ci! Tout ce que les politiciens racontent, c'est du -comment dites-vous?- du bla-bla...

Faut-il lui faire confiance? Il appartient au Ledra Palace et, à Chypre, tout se fait et se défait au Ledra Palace. L'hôtel est situé à la limite des secteurs turc et grec de la ville. C'est là qu'en 1960 Mgr Makarios a signé la nouvelle constitution. C'est là que s'est installé l'état-major danois des forces de l'O.N.U C'est là que l'ambassadeur de Grèce, M.Alexandrakis, vient régulièrement s'installer au bar. Et quand il est là, c'est un signe de détente. C'est là que bat le coeur de l'île. En ce moment, il bat très fort. Il y a de quoi.

ENTRE DEUX FEUX

La vieille ville, labyrinthe de ruelles, vit depuis le seizième siècle cernée d'imposantes murailles. La ville moderne s'étend, elle, en dehors de cette enceinte. Dans les deux villes, la situation est la même: face à face, Grecs et Turcs. Ni les uns ni les autres n'ont le sentiment d'être Cypriotes. Chez les uns flotte le drapeau bleu et blanc d'Athènes, chez les autres l'emblème, étoile et croissant blancs sur fond rouge, d'Ankara. Chez les uns, à côté du portrait de Mgr Makarios, président de l'île, la photo du roi Constantin. Chez les autres, photo du vice-président turc Kutchuk et de M.Inonu. Le drapeau cypriote, la forme de l'île, c'est-à-dire d'une tortue, en jaune sur fond blanc, ne flotte que sur l'un ou l'autre bâtiment officiel. Il n'est pas le symbole de l'union nationale, mais de la discorde. Chypre est toujours sur le point d'exploser. A l'entrée du secteur grec de la ville moderne, contrôle draconien de la police grecque, armée de mitraillettes. A l'entrée du secteur turc, même contrôle minutieux par la police turque. Entre les deux polices, les casques bleus vont et viennent en jeep, en blindés. Ils sont toujours entre deux feux.

La vieille ville, elle, est coupée en deux par la rue de Paphos prolongée par les rues Hermès et Hector, des rues qui ressemblent à des bazars orientaux. Au sud de cette ligne presque droite et appelée "la ligne verte", le quartier grec bordé de fortins construits en sacs de sable; au nord, le quartier turc entièrement, bouclé. Tout le long de cette ligne de démarcation faite de fûts, de barbelés, de sacs de sable et d'épaves de camions, des troupes danoises. Dans le quartier turc, pas un seul signe de vie. Seulement des banderolles de drapelets rouges suspendues au-dessus des ruelles. Ça mérite d'être photographié.

Mais, à peine descendu de voiture, l'on est apostrophé par les casques bleus:

-Toute photo est strictement interdite, Sir...

Il est interdit aussi d'entrer.

-Pourquoi?

-Eh oui! explique-t-on à l'état-major. Nous sommes les responsables de l'ordre. Des photos? Ça ne nous dérange pas. Nous vous donnerions volontiers l'autorisation si les autorités grecques et turques n'y voyaient pas d'inconvénient....

Il faudrait leur demander de tomber tout à coup d'accord. C'est impossible.

-Dans l'état actuel des choses, les Turcs, qui sont en effervescence, verraient tout de suite une provocation de notre part et de la part des Grecs si nous vous laissions faire...

Telle est la situation absurde des "gendarmes de la paix" : ils ne peuvent rien sans l'accord des deux parties. Et c'est ainsi pour tout:

-C'est avec plaisir, nous dit-on à l'état-major, que nous vous inviterions à accompagner une de nos patrouilles en blindé. Mais il faut, avant tout, que vous obteniez l'accord des dirigeants grecs et turcs...

C'est pourquoi les Nations Unies n'ont pu empêcher le massacre des villages turcs de Kophinou et d'Ayos Théodoros: une intervention est toujours subordonnée à une foule de démarches.

UN PAYS THEORIQUEMENT INGOUVERNABLE

Chypre compte un peu plus de 500.000 habitants. Environ quatre-vingts pour cent sont d'origine grecque et affirment:

-Nous sommes Grecs...

Vingt pour cent sont d'origine turque et prétendent:

-Nous sommes Turcs...

A Chypre, il n'existe aucune conscience nationale.

La communauté grecque élit le président. C'est aujourd'hui Mgr Makarios. La communauté turque élit, elle, le vice-président: actuellement, M.Kutchuk. L'un et l'autre ont droit de veto. Autrement dit, ils ne peuvent rien décider l'un sans l'autre.

De même, les Grecs de l'île ont leur Parlement, et les Turcs le leur. Les deux Assemblées sont coiffées par un Parlement mixte composé de septante Grecs pour trente Turcs.

Sur dix ministres cypriotes, trois sont turcs. Turc aussi un représentant diplomatique sur trois. Selon la Constitution, il y a ou il devrait y avoir; comment vérifier? trente pour cent de Turcs dans la police et la gendarmerie et quarante pour cent de Turcs dans l'armée, baptisée Garde nationale. Mieux: deux des quatre départements de l'île seraient administrés par des préfets turcs, quelle que soit la majorité de la population.

En conséquence, les Turcs de l'île peuvent aisément paralyser toute la vie politique et fiscale de la République. Il leur suffit d'user de leur droit de veto. En d'autres termes, Chypre se trouve à la merci de la minorité. Théoriquement, du moins. Car le massacre de Kophinou et Ayos Théodoros et ceux qui les ont précédés ont bel et bien été perpétrés par les Grecs.

Chypre n'est qu'à environ septante kilomètres de la côte turque mais à mille deux cents kilomètres de la côte turque mais à mille deux cents kilomètres de la Grèce. Par la culture, la religion, la tradition, la langue, elle semble être un bout de la Grèce égaré en pleine Méditerranée. La présence grecque y est permanente depuis trois mille ans. Mais, dès 1571 à 1878, elle vit sous la domination turque. En 1878, la Turquie cède l'île à l'Angleterre. Sitôt arrivé le haut commissaire anglais, l'ethnarque d'alors, Mgr Sophronios, s'empresse de déclarer:

-N'oubliez pas que nous sommes Grecs et que nous tenons à faire partie de l'Etat hellénique...

Déjà, l'Enosis...

1914. La Turquie déclare la guerre à l'Angleterre qui s'empresse d'annexer Chypre, demeurée jusque-là province ottomane.

En 1923, aux termes du Traité de Lausanne, la Turquie est bien obligée de renoncer à tous ses droits et titres sur l'île. Elle s'en désintéresse, en effet, tout à fait, ainsi que des Turcs qui y habitent. Ceux-ci semblent tout aussi indifférrents. Les Grecs rêvent bien de leur Enosis, l'union avec la Grèce. Mais les Anglais assurent l'ordre. Opposés à ce rattachement, ils sont une protection sérieuse pour la communauté turque.

Trente mille Cypriotes s'en vont combattre pour la cause alliée, dans les rangs anglais, durant la guerre. Mais, en 1945, quand la majorité grecque recommence à rélamer l'Enosis, Londres dit non.

En 1950, l'enthnarchie organise un plébiscite au sein de la population grecque: 95,7 pour cent se prononcent pour l'Enosis. De 1951 à 1955, et à partir de 1953 avec l'aide officielle de la Grèce, les Grecs de Chypre essayent, mais en vain, de faire porter ce qu'ils appellent l'affaire cypriote devant les Nations Unies.

En 1955 éclate la lutte armée contre l'occupant britannique. A la tête du mouvement clandestin E.O.K.A. (Organisation nationale des combattants cypriotes), le général Grivas, venu d'Athènes. L'O.N.U. invite l'Angleterre et la Grèce à négocier entre elles.

L'EXCOMMUNICATION POUR LES ADVERSAIRES DE L'ENOSIS

Afin d'être sûre que, de toute façon, son point de vue l'emportera, la Grande-Bretagne, nettement opposée à l'Enosis, décide d'introduire dans le débat la Turquie devenue son alliée depuis le Pacte de Bagdad. Les Cypriotes n'auront pas leur Enosis. Londres est contre, et les Turcs de l'île aussi.

Ceux-ci proclament d'ailleurs:

-Si les Grecs veulent leur rattachement à la Grèce, nous, nous voulons être rendus à la Turquie...

L'ethnarque Mgr Makarios lance:

-Tout qui ne sera pas pour l'Enosis sera excommunié...

Et il appelle les Grecs, les quatre-vingts pour cent de la population, à combattre contre leurs ennemis, les adversaires du rattachement à Athènes: les Anglais, tout d'abord, puis les Turcs. Et l'influence de l'Eglise orthodoxe est si grande que même le parti communiste cypriote A.K.E.L. est obligé de s'aligner.

La guerre qui éclate en 1955 à Chypre n'est pas une guerre d'indépendance. Elle n'a pour but que l'Enosis.

L'E.O.K.A. le précise:

-Nous avons deux ennemis à combattre. Le premier est l'Anglais, le second le Turc. Nous devons tout d'abord nous occuper des Anglais et les bouter hors de l'île, puis nous annihilerons les Turcs. Notre but est l'union à la Gréce. Il est de notre devoir que ce but soit atteint, quel qu'en soit le prix...

Le but n'est pas encore atteint. L'île est indépendante depuis 1960. Mais en accordant à Chypre son autonomie, la Grèce, la Turquie et la Grande-Bretagne se réservent le droit d'intervenir militairement et de garder des troupes sur l'île pour empêcher "tout mouvement et toute action" en faveur du rattachement à la Grèce. Ces trois pays ne sont même pas obligés de se consulter et de se mettre d'accord si l'un d'eux souhaite intervenir. Il lui suffit d'estimer que l'indépendance de Chypre est menacée.

Sa Béatitude Mgr Makarios signa, la mort dans l'âme, mais pas résigné: la guerre pour l'Enosis continue. Mais pas de façon toujours aussi spectaculaire qu'en cette fin d'année 1967.

LES ENNEMIS DE L'INTERIEUR

-Après les Anglais, les Turcs, avait proclamé l'E.O.K.A. inspirée par Mgr Makarios, alors chef des insurgés.

Sa Béatitude est aujourd'hui président de la République. L'E.O.K.A. a été dissoute. Mais son chef se manifeste encore: c'est Grivas qui a orchestré le massacre de Kophinou et d'Ayos Théodoros. Et tous les Grecs de l'île ont un fusil...

Les Turcs ont, certes, le droit de veto. Et ils en usent certainement. Mais droit de veto ne signifie pas droit de décision. S'ils étaient les maîtres, leurs villages seraient non seulement en sécurité mais prospères. En réalité, ils sont toujours menacés et les plus pauvres de l'île.

-Bien fait, disent les Cypriotes grecs. Les Turcs sont les ennemis de l'intérieur. Ils prennent leurs ordres à Ankara....

Mais eux prennent les leurs à Athènes. C'est de là qu'est venu Grivas.

Depuis l'indépendance, depuis 1960, les Turcs de Chypre vivent un lent martyr.

L'indépendance avait un an quand M. Kutchuk adressa une longue lettre à Mgr Makarios, une lettre anxieuse:

-... Par exemple, notait-il, j'ai été très désappointé des objections des ministres grecs à l'encontre de presque tous les projets turcs soumis en vue d'être réalisés avec les travaux à exécuter en 1961. Ils manifestaient leur répulsion à agréer des projets de développement qui auraient profité aux villages et aux populations turques. Les minutes des réunions du Conseil des ministres en sont autant d'exemples. Deuxièmement, il est évident que les matières évoquées au Conseil des ministres sont d'abord discutées à une réunion des ministres grecs qui, quand ils arrivent au Conseil, où ils sont majoritaires, ont déjà décidé du vote. De cette façon il est donné aux ministres turcs l'impression que leur présence au Conseil n'a qu'un intérêt de formalité. Troisièmement, certaines décisions de police sont prises sans consultation ni même information du vice-Président et des ministres turcs. Quatrièmement, la commission des Services publics, qui devrait faire respecter la proportion 70-30 dans les services publics, a failli à sa mission...

Le vice-Président concluait qu'il n'était pas même possible aux Turcs de l'île de se faire entendre dans les organisations internationales.

M.Kutchuk ne reçut jamais de réponse à sa lettre.

Depuis lors, des centaines de Turcs ont été assassinés, et dans les conditions les plus barbares. On a vu des Grecs tirer à balles doum-doum sur des enfants turcs. Des dizaines de villages ont été anéantis ou abandonnés. Le nombre des Turcs, malgré une natalité qu'on pourrait dire galopante, est en baisse constante.

Pour sauver ce qui peut l'ètre, les Turcs réclament maintenant le partage de l'île.

-Pas question! font les Grecs en disant: "Vous voyez bien qu'ils sont les ennemis de la République!"

Pourquoi c'est hors de question?

-Ils sont trop exigeants, ces Turcs. Ils réclament trente-huit pour cent du territoire, expose le ministre des Finances Renos Solomidès. Cela poserait des problèmes économiques insolubles et cela entraînerait le déplacement de 133.000 Grecs, ce qui, n'est-ce pas, est contraire à la Charte universelle des Droits de l'Homme...

AU NOM DE L'ENOSIS

Sa Béatitude Mgr Makarios avait une autre raison d'être mécontent: l'Enosis perdait de ses partisans. Certains Grecs de l'île découvraient qu'il vaut mieux aujourd'hui être Cypriote que Grec. Et pas seulement parce qu'à Chypre il y a une voiture pour douze habitants au lieu d'une pour cent en Grèce: les abus de pouvoir des colonels fascistes commençaient, pour le moins, à inquiéter. Dans les juke-boxes de Chypre, et pas dans les quartiers turcs, il y a toujours la chanson de Zorba.

Pour réunifier les Grecs de l'île, pour réaliser "l'union sacrée", quel ciment meilleur que la haine commune contre les Turcs, les "ennemis de l'intérieur"?

Mgr Makarios a réussi: les Grecs de Chypre ont retrouvé leur unité. Les colonels d'Athènes aussi se frottent les mains: en envoyant Grivas personnellement à Chypre -quitte à le rappeler una fois sa "mission accomplie" -, ils ont détourné l'attention du monde de ce qui se passe chez eux. Le monde risque sans doute une nouvelle guerre. Mais cela n'a jamais arrêté ces régimes-là. A Chypre, son île natale, Aphrodite, déesse de l'amour, est assassinée tous les jours. C'est la haine qui triomphe.

Tout d'abord, la terre est or. Puis elle devient cuivre. Puis rouge. Le paysage entre Nicosie et Limassol change tout le temps de couleur. La route, étroite et mal bitumée, court à travers un plateau aride. A gauche et à droite, rien qu'une terre craquelée, avec, de loin en loin, des oliviers, des cyprès, un puits qui remonte à l'époque de Homère. Tout à côté, une jarre en terre est suspendue à une branche d'olivier. Ça et là, là où survit une herbe grise, un berger fait paître son troupeau et salue d'un signe amical l'automobiliste de passage. Lui aussi est un rescapé de l'Antiquité. De part et d'autre de la route, des ruines dorment au bout des chemins en pierrailles, tout en bosses et en fosses. A Dhali, à 24 kilomètres au sud de Nicosie, les archéologues ont les larmes aux yeux en découvrant deux acropoles. Il y avait alors une forêt. C'est là que, transformé en sanglier, le jaloux Hadès éventra Adonis, l'amant d'Aphrodite. Chacune des larmes que la déesse versa sur les lieux du crime y fit jaillir une anémone...

Tout à coup des montagnes mauves se dressent à l'horizon. Au bout d'un chemin infernal, au monastère de Stravrovouni, perché sur un rocher à pic, à 750 mètres d'altitude, trois moines peignent des icônes et vénèrent un fragment de la vraie croix, cadeau de sainte Hélène à la communauté pour avoir bâti son couvent sur l'emplacement d'un ancien temple de Zeus.

Pendant que le père Adam se mouche dans sa soutane, le père Makarios vous offre des noix, deux oranges, une tasse de café et un verre d'eau.

-C'est de l'eau de pluie. Il faut la boire pour garder le souvenir...

Le retour dans la vallée est une sorte de descente en enfer. La piste a tout juste la largeur d'une auto. Elle dévalle, vertigineusement, d'une épingle à cheveux à l'autre. Une fausse manoeuvre, et c'est le vide. Mais l'aventure commence quand on la croit finie. Au bas de la côte, à deux cents mètres, en retrait de la grand-route, une compagnie de la garde nationale sort des taillis et barre le chemin.

La voiture s'immobilise juste en face d'un blindé remarquablement camouflé: on passerait cent fois devant sans l'apercevoir.

-Passeport!

-D'où venez-vous?

-Où allez-vous?

-Ouvrez le coffre!

-Montrez cette carte routière qui est là sur la banquette!

Demi-drame: deux noms de village y sont cochés: Kophinou et Ayos Théodoros.

Ils tiquent, appellent un gradé: ce sont tous des hommes de Grivas. Les noms cochés ce sont ceux des deux villages turcs qu'ils ont mis à sac.

-Vous avez fait des photos?

-Non. Pas encore! Vous voulez le film?

-Non ...

De toute façon, c'était une bande vierge.

Après vingt minutes de palabres, tout s'arrange:

-Bon. Vous pouvez aller...

Dix kilomètres, un petit défilé, puis la route bascule dans un paysage de buissons, de pins, de caroubiers. La terre, brutalement, devient blanche. A droite, un café, pompeusement appelé casino, criblé de balles. Ici commence Kophinou. A l'entrée du village, trois hommes de garde font signe d'arrêter. Puis ils appellent un policier, uniforme bleu, képi orné d'une étoile et d'un croissant argentés sur fond rouge.

-Vous venez voir ce qui s'est passé?

-Oui...

-Je vais vous montrer...

Il est un des policiers turcs du village.

-Ici, dit-il, habitait un jeune ménage. Ils étaient mariés depuis deux mois. Ils sont ruinés maintenant. Ils avaient pour environ 3.000 livres (360.000 F.B.) de bijoux, vieux souvenirs de famille. Les Grecs leur ont tout pris...

Des éclats trouent tous les murs. Le mobilier est en piteux état. Même le frigo n'a pas été épargné: lui aussi est crevé par les balles. Mais Altay Osman peut s'estimer heureux: sa femme et lui vivent encore.

-Le village, fait le policier, comptait environ 1.600 personnes. Mais, depuis le passage des bandes de Grives, il y a eu 27 morts et 9 blessés.

Cinq maisons ont été anéanties; cinq autres sérieusement endommagées...

Et il s'en fallut d'un rien que le minaret de la mosquée s'abatte sur les maisons avoisinantes...

-L'attaque commença par des tirs de mortiers, puis succédèrent les bombes et les grenades. Il y avait même une compagnie d'infanterie...

Le motif de cette incursion? Le policier de Kophinou lève les bras au ciel...

DEJA LA VEILLE

Le village est, en somme, victime de sa position géographique. Il longe la route principale de l'île qui relie la capitale Nicosie au port de Limassol. Il est bien tentant pour les Turcs, qui sont nettement minoritaires dans l'île, d'essayer, pour donner plus de poids à leurs revendications, de contrôler le trafic de cette voie vitale. Ils l'ont fait d'ailleurs l'été dernier alors que le paquebot "France" devait débarquer sept cents passagers. Ce jour-là, c'est l'ambassadeur de France qui évita le pire. Il fut le seul à oser emprunter la route. Il alla accueillir les sept cents passagers et les ramena sans encombre au centre de l'île.

Mais, cette fois, rien ne justifiait l'agression de Grivas. Rien: c'était au village voisin, Ayos Théodoros, qu'un problème se posait. Le quartier turc de ce village contestait depuis longtemps le droit de passage sur son territoire de la police cypriote, armée essentiellement grecque. Les Nations Unies avaient offert leurs bons offices et les autorités turques de l'île avaient accepté de revoir leur position quand le 14 novembre, à 12 h 50, le commandant des casques bleus du secteur de Kophinou, et non pas, comme ç'aurait dû être, le quartier général des forces onusiennes à Nicosie, fut informé par le commandant de la garde nationale, le général Grivas, que la police allait patrouiller vingt-cinq minutes plus tard à Ayos Théodoros. Et le commandement local de demander aussitôt quelle protection les casques bleus comptaient garantir aux patrouilles policières. Il ajouta même que si les casques bleus n'accordaient pas la protection sollicitée, la garde nationale, elle, s'y préparerait, "quelles qu'en soient éventuellement les conséquences".

Que pouvaient bien entreprendre quelques dizaines d'hommes campant derrière des barbelés?

De toute manière, c'est de leur état-major qu'ils avaient à recevoir leurs ordres. De leurs miradors, les gendarmes de la paix virent les troupes de la garde nationale prendre position pour une attaque réglée de la population turque. Eurent-ils pu s'interposer? Ils n'étaient pas assez nombreux. Et puis quel chambard le gouvernement cypriote n'aurait-il pas fait si les Nations Unies avaient pris les armes contre l'armée nationale? Chypre est un Etat souverain.

A 13 h 30 précises, les patrouilles policières entrèrent dans Ayos Théodoros. Un tracteur qui barrait la route fut aimablement retiré par des Cypriotes turcs. Comme aucun incident n'éclatait, le général Grivas, honni par toute la population turque de l'île, se présenta au village même. Espérait-il que sa présence allait faire tout à coup déborder le vase de haine? Il en fut pour ses frais.

ALERTE, LE GOUVERNEMENT CYPRIOTE REPOND: "C'EST SANS INTERET"

Mais il ne se découragea pas pour autant. Le lendemain, 15 novembre, même scénario. A 13 h 40, le commandant local de la garde nationale informe de nouveau le commandant des casques bleus basés à Kophinou qu'à 14 heures -dans vingt minutes- la police effectuera de nouvelles patrouilles à Ayos Théodoros.

-La composition de ces patrouilles sera la même qu'hier, déclara le commandant de la garde.

En réalité, elles étaient beaucoup plus fortes. Qui tira le premier? La fusillade éclata presque aussitôt. Grivas avait gagné: son insistance avait réussi.

Aussitôt, les casques bleus alertèrent leur état-major à Nicosie. Le haut commandement se mit tout de suite en rapport avec le gouvernement cypriote -à tous les échelons, précise-t-il-et avec les dirigeants cypriotes turcs.

Le gouvernement cypriote répondit que l'affaire était sans intérêt...

-Les combats ne prirent fin que dans la nuit, note le policier de Kophinou qui se demande encore pourquoi les Grecs s'en prirent si sauvagement à son village.

Les soldats de Grivas, commandos à bérets verts, bombardèrent l'école d'Ayos Théodoros, mirent le feu à plusieurs maisons. Dans l'une d'elles, un homme brûla vif et son corps fut découvert coupé en deux à côté des ruines de son logement...

-Par chance, il n'y eut que trois ou quatre tués, fait le casque bleu qui nous guide.

Il n'empêche: à Ayos Théodoros, charmant village musulman qui dégringole le long de la colline au milieu des orangers, oliviers, cyprès et palmiers vers le lit d'une rivière toujours à sec, nul n'oubliera jamais.

Pourtant, à Kophinou, ce fut bien pis. Dans ce village qui semble taillé dans la craie, 27 personnes sont mortes, et dans quelles conditions...

Un homme coiffé d'un turban raconte:

-Regardez...

Il montre sa main nue. Il n'a plus d'alliance:

-Ils nous ont tout volé. Tout. Ils menaçaient même de nous couper les doigts pour nous prendre nos bijoux...

Des maisons bombardées, il reste quatre murs. Tout le reste est calciné.

-Vous voyez: ici, c'était une chambre...

Dans les débris charbonneux, deux carcasses métalliques, un vase de nuit en émail blanc. A côté, basculé sur les détrituts, la carcasse roussie d'un frigo.

-Dans presque toutes les maisons touchées, des gens, des vieillards surtout, ont été brûlés vifs...

Cent mètres plus loin, un vieux nous montre son bourricot: celui-ci est toujours vivant, certes, mais parce qu'il a la peau dure. Il a le cuir marqué par les traces des balles...

-Pourquoi ils s'en sont pris à nous? Venez voir. Voici la coopérative. Elle était fermée. Regardez les impacts...

C'est vrai: on a tiré aux emplacements précis des serrures. Le fût d'huile qui se trouvait derrière s'est vidé.

-Et ils ont pillé la caisse: 410 livres (49.200 F.B.)...

Mème chose à l'Office de crédit, dans l'immeuble voisin. Les vitres de la porte d'entrée ont été brisées autour des serrures...

Ici, ils ont encore volé la caisse: 415 livres...

Est-ce cela une opération de police? Pour les Turcs, c'est une provocation.

Une provocation horrible:

-Voici la maison de Hussein Aziz. Il avait 85 ans. Vous voyez? Sur le seuil c'est son lit. Le malheureux était couché, malade et aveugle, incapable de se lever. Ils l'ont sorti de force, l'ont emballé dans une couverture et y ont mis le feu...

Ailleurs:

-Cette maison-ci était celle de Mustafa Bekir, 83 ans. Ils ont mis le feu à sa maison, ont versé de l'essence sur lui et y ont mis le feu aussi: il n'a pas pu sortir...

Ailleurs encore:

-Djemalie Hussein, qui vivait ici, était une paralytique de 85 ans...

Elle aussi a brûlé vive...

-Et puis, ajoute le policier de Kophinou, comme si ce n'était pas encore assez horrible, toutes les exécutions ont été faites devant les femmes et les enfants réunis. Voilà, leur dit-on, ce qui vous attend si vous ne marchez pas droit...

Le lendemain, les volontaires, en fouillant les décombres, trouvèrent la plupart des cadavres coupé en deux et les yeux crevés à la baonnette.

Grivas avait dit:

-Aux prochains incidents avec les Turcs, ce sera la force!

Ce fut la barbarie. Grivas rappelé à Athènes, un de ses hommes, un de ses "bérets verts", nous a annoncé le plus calmement du monde en sirotant un café:

-La prochaine fois il n'y aura plus de survivants...